Dans ce contexte d’urgence sanitaire sans précédent, le sujet du Covid-19 s’est brusquement invité dans la vie des enfants. Faut-il parler du Coronavirus aux enfants ? De quelle manière ? Comment peut-on faire avec les plus jeunes ?
Guillaume Nguyen, psychologue et psychothérapeute à Pézenas
Le confinement m’impose également une suspension d’une grande partie de mon activité. La profession continue de se mobiliser en s’adaptant comme elle peut : nous maintenons le lien avec les patients, les familles et les partenaires (services sociaux, familles d’accueil…) par téléphone, certains proposent des consultations par visioconférence…
En coulisse, nous sommes nombreux à chercher à nous rendre utiles. Echanges visio entre collègues, travaux d’écriture, recherche d’informations, réflexion sur les conduites à tenir, échanges autour des pratiques professionnelles pour s’adapter à la situation et aux nouveaux besoins qu’elle génère.
Je mets pour ma part à profit ce temps imposé par le confinement aussi pour écrire quelque chose à destination des familles, partager les réflexions qui me traversent face à cette situation inédite.
Le covid-19 s’est invité dans le quotidien des enfants
Que cela soit dans les conversations téléphoniques, à la télévision, sur les ondes, dans les jeux ou discussions en fratrie, le sujet du coronavirus s’est imposé dans le quotidien des familles.
Arrêt de l’école, arrêt du travail parental, changement brusque de la routine, inquiétudes des parents, confinement, arrêt des visites aux grands-parents…
Quel que soit leur âge, les enfants perçoivent un changement dans leur rythme journalier, leur quotidien, dans l’attitude ou l’inquiétude – à juste titre – des adultes. On sait pour nombre d’enfants, particulièrement les plus jeunes ou les plus fragiles, combien les routines et repères du quotidien ont un rôle rassurant et structurant.
Loin d’alimenter les inquiétudes des enfants, répondre à leurs questions c’est au contraire leur permettre de donner du sens, une représentation sur ce qu’ils traversent et ressentent.
Leur dire quelque chose de tout ça, pour que quelque chose fasse sens pour eux.
Si tant est que les familles protègent aux maximum leurs enfants et qu’elles vont passer plus de temps avec eux, ils ne font toutefois pas l’économie de l’inquiétude et de l’atmosphère particulière imposées par le contexte sanitaire.
Si certains auront à faire face à la maladie dans leur entourage, ils vivent dans tous les cas une soudaine discontinuité dans leurs ancrages habituels.
Parce qu’ils ne vont plus chez Nounou, à la crèche ou l’école. Parce que Papa et Maman sont inquiets, parce qu’ils ne voient plus la maîtresse et leurs copains, parce qu’ils ne vont plus chez Mamy et Papy, parce qu’ils ne vont plus à la danse ou au foot, parce que leurs compétitions sont annulées.
Les plus petits sont d’autant plus sensibles aux discontinuités relationnelles que leur autonomie affective est encore en développement, j’attire l’attention sur cette dimension.
Le rapport au corps et la communication tactile se modifient pour nos chérubins : on ne se fait plus ou moins de bisou, on ne se touche pas la main, on met de la distance corporelle, on porte d’étranges masques qui par ailleurs ne sont pas agréables à porter. Comment vivent-ils cela ? Et tous ces gens qui attendent à la queue-leu-leu devant les supermarchés, cette odeur de gel hydro-alcoolique qui s’est invitée dans notre quotidien.
Comment vivent-ils aussi la restriction du mouvement, particulièrement pour ceux qui n’ont pas de jardin, qui vivent dans de petits logements ?
S’il n’y pas que le « défoulement » à prendre en compte, c’est parce que les tout-petits ont une intelligence sensori-motrice. Ils expriment et transforment quantité de vécus et d’émotions par le mouvement.
Les enfants reçoivent beaucoup d’informations sans filtre
Les enfants épongent tout, perçoivent tout, entendent tout, même lorsqu’ils sont occupés par leur jeu.
Leurs petites oreilles traînent partout, à fortiori dans un monde ultra-connecté où l’information diffuse en permanence. Chaînes d’informations en continu, ondes radio, réseaux sociaux: l’anxiété, les traumas journaliers, les décomptes des morts tournent en boucle sur tous les canaux.
Et si tant est que l’on soit vigilant à éteindre les écrans et autres postes radio, les enfants entendent les discussions entre adultes, les échanges spontanés au téléphone ou avec la voisine par la fenêtre…
Ces changements, ils les traversent quoi qu’il arrive. Ces petits bouts d’informations glanés au vol, ils les reçoivent… et ils les reçoivent sans filtre.
Si je parle de filtre, c’est bien parce que cette dimension m’apparaît majeure dans le fait de parler aux enfants de ce qu’il se passe. Somme toute parler à leur niveau, de façon ajustée, pour transformer les informations brutes qu’ils réceptionnent.
C’est ce que nous faisons spontanément tout au long du développement de nos tout-petits.
En relation avec leur entourage, les enfants maturent leur développement cérébral, s’équipent progressivement des outils psychiques qui vont leur permettre de filtrer et traiter les informations externes et internes.
Nous sommes en effet dotés d’une capacité naturelle à parler aux petits de ce qu’ils vivent et ressentent.
Dès leur naissance, nous leur parlons spontanément des expériences sensorielles et émotionnelles qu’ils traversent (« oh… tu es en colère », « tu as envie de faire dodo », « miam-miam, ça a l’air bon », « je sais c’est difficile et tu voulais le jouet de ton frère »).
Nous produisons ce « feedback » permanent qui leur donne les moyens de s’approprier leurs vécus, les rendre compréhensibles, plus tolérables, plus « digestes » sur le plan psychique.
A mesure de leur développement, ils vont pouvoir s’approprier quelque chose et continuer à en faire évoluer l’expérience par leurs propres compétences : en y repensant, en le rêvant, en le jouant, en le dessinant, en le modelant, en le mettant en scène dans des jeux imaginaires.
Nous les accompagnons chaque fois à créer un remaniement, une expérience qui s’embrayera à d’autres, qui s’affinera, évoluera, et dont l’enfant se servira toute sa vie. Dans le cerveau, des connexions synaptiques se créent par milliers à chaque nouvelle expérience.
Les enfants ont une vie psychique très vive
Aussi est-il important de pouvoir répondre à leurs questions, en s’ajustant bien entendu à leur niveau de compréhension.
En plein développement, ils ont des centres d’intérêts, des scénarios imaginaires et des angoisses propres à leur âge, qui se greffent en permanence avec la réalité.
Les enfants reconstruisent beaucoup de choses
Il y a l’événement et il y a la subjectivité mobilisée autour de cet événement par l’enfant.
Les enfants se construisent ainsi leurs propres théories sur tout : la vie, la mort, le corps, la conception, l’amour, la maladie, les émotions, la digestion, les séparations et j’en passe…
L’entourage va accueillir, accompagner et remanier ces théories: ils vont faire des retours spontanés, expliquer, commenter, montrer, s’appuyer sur de petits livres.
Les enfants reconstruisent de ce fait des choses parfois très éloignées de la réalité et qui peuvent les les inquiéter, les faire souffrir. Ces reconstructions qu’ils peuvent faire sur une situation réellement difficile peuvent générer davantage de souffrance encore : angoisses, culpabilité, agressivité…
Demandez-leur ce qu’ils savent et ce qu’ils ont compris du Coronavirus
En demandant simplement à un enfant « tu en penses quoi ?« , « qu-est-ce que tu as compris de ce qu’il se passe ? », « Qu’est-ce que tu te dis sur le coronavirus ?« , on peut déjà avoir des éléments de réponses sur ce qui peut inquiéter son enfant, sur ce qu’il a compris, ce qu’il a reconstruit, ce qui est à expliquer…
Peut-être s’inquiète-t-il de voir quelqu’un de sa famille simplement enrhumé ?
La parole de l’adulte qui rassure, explique, permet tout de suite d’amener à l’enfant des éléments de réalité sur lesquels l’enfant peut se baser pour remanier son expérience.
Cela ne signifie pas tout dire, mais simplement fournir aux enfants ce qui va leur être utile pour comprendre les discontinuités auxquelles ils sont exposés.
En expliquant à un enfant ce qu’est un virus ou un microbe, on va lui permettre une compréhension de la situation. On va lui permettre de remanier l’expérience peut-être étrange/inquiétante des masques par exemple, de les intégrer dans une dimension de protection.
Dire quelque chose du coronavirus à un enfant de 8 ans, ça n’est pas la même chose qu’à un enfant de 3 ans !
Un des médias les plus précieux pour échanger avec les petits enfants c’est le jeu
Auteur majeur en matière de psychothérapie des enfants, Donald W. Winnicott a mis en lumière le potentiel extraordinaire du jeu (« Jeu et Réalité », 1971).
Partagée entre l’adulte et l’enfant, l’aire de jeu ouvre un échange où vont s’inviter vos sympathiques porte-paroles : quelques animaux en plastique, une poupée barbie, des playmobils.
Un champ infini des possibles s’ouvre dans cet interstice « ni dedans ni dehors » où le petit enfant se laisse rencontrer.
Quand les bonhommes ou les figurines se parlent, un échange s’amorce, ajusté au niveau de l’enfant. L’adulte va pouvoir dire à l’enfant quelque chose qu’il va entendre, l’enfant va pouvoir dire à l’adulte quelque chose qu’il va comprendre.
Avant la suspension de mes consultations, la friction au gel hydroalcoolique pouvait se faire et s’expliquer dans une expérience de jeu. Dans la salle d’attente, en frictionnant le bout des pattes du doudou et en s’amusant à la chasse aux vilains microbes, à la course à « celui qui frictionne le plus vite », le gel est tout de suite mieux compris, mieux accepté.
En jouant par exemple à enfiler des « masques » (pâte à modeler, bout de papier, bout de scotch…) à des nounours ou des playmobils qui toussent, en représentant le virus avec les moyens du bord (boule de pâte à modeler, grosse boule de papier), en jouant à dessiner un gros virus pas beau, on met en scène dans une expérience accessible une explication que l’enfant va comprendre.
L’important est que l’enfant comprenne qu’on le protège de quelque chose et que ce quelque chose puisse être représenté, même s’il est invisible à l’oeil nu.
Pour les tout-petits, il est je pense crucial de leur dire quelque chose à propos des séparations provisoires (Mamy, Papy, Nounou…) et de les rassurer sur la continuité de la relation, sur le fait que l’on a entendu ses besoins.
Par le jeu, on l’aide aussi à s’approprier ce qu’il se passe. On l’accompagne à se rendre acteur – à son niveau – dans cette nécessité à accepter les mesures de restriction et de protection.
Ce n’est pas parce qu’on parle à un petit enfant avec le jeu que ce n’est pas sérieux, bien au contraire !
Qu’importe le contenu, le jeu offre tant d’occasions pour échanger avec les enfants, dans un moment où ils sont disponibles.
Voilà un moyen d’anticiper les moments difficiles, tout en faisant confiance aux compétences des petits.
C’est durant les moments de jeu, les temps calmes ou les petites lectures, que l’on peut particulièrement enseigner des compétences aux petits, leur parler de leurs émotions. Pas durant la crise et la tempête émotionnelle !
On va leur parler des éventuels questionnements que l’on sent venir, des émotions et des moyens de les apaiser, afin qu’ils puissent se servir de nos appuis quand les moments difficiles surviendront.
« Peut-être que ça t’inquiète qu’on n’aille plus au parc, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour s’amuser dans la maison ? », « peut-être que ça t’inquiète qu’on n’aille pas voir Papy et Mamy en ce moment »…
« Si jamais tu penses cela, dis-le moi. On pourra les appeler ou les voir sur le téléphone, pour que tu vois bien qu’ils sont toujours là et qu’ils pensent à toi, que personne ne t’oublie ».
Si l’on se laisse guider par l’enfant en observant son jeu, on ne tardera pas à voir poindre les nombreuses opportunités d’échange qu’il envoie, sans cesse, à l’adulte. Les nombreuses questions latentes, les nombreuses ouvertures qu’il laisse à son partenaire de jeu pour qu’on lui dise quelque chose, pour qu’on lui renvoie quelque chose, en passant à son tour par le truchement d’un jouet.
Les petites histoires de Marguerite Delivron
Les petites histoires sont d’un précieux secours.
L’illustratrice Marguerite Delivron (« Les Dessins de Marge« ) a mis en ligne sur sa page Facebook de remarquables petites bandes dessinées explicatives à propos du Covid-19 et du confinement.
Il est possible de lui faire un don sur la page Tipeee Marguerite Delivron pour la remercier et soutenir sa remarquable initiative, ce que je viens de faire.
Des petites expériences très concrètes !
Les parents blogueurs déploient des trésors d’inventivité pour expliquer aux enfants les mesures d’hygiène.
On voit se multiplier sur le web des petites expériences très simples à réaliser, avec quelques paillettes, une pincée de poivre, une noisette de savon… très parlantes !
« Enfance et Covid »: un nouveau site dédié
La nouvelle plate-forme Enfance et Covid consacrée au sujet vient d’être lancée, pilotée par l’Observatoire de la Parentalité et du Soutien à la Parentalité, la Maison des Sciences et de l’homme-Alpes, Santé Société – Grenoble Alpes.
Le comité de pilotage est composé de professionnels de pédopsychiatrie ou petite enfance éprouvés comme Boris Cyrulnik, Isabelle Filliozat, Antoine Guedeney…
Ensemble contre la pandémie
Le confinement nous impose de nous adapter à une expérience inconnue. Les parents se mettent à faire la classe à leurs enfants, d’autres découvrent le télétravail…
Notre expérience subjective se modifie, notre rapport à l’autre aussi. La pandémie impose au monde une remise à plat des certitudes, y compris dans de grandes sphères de l’humanité : professionnelles, familiales, sociales, économiques, médicales, politiques, géopolitiques et bien d’autres.
Dans ce pendant du Covid-19, on se doute bien qu’il y aura un avant et un après : les enfants n’en feront pas l’économie.
A nous adultes de fédérer nos échanges, nos observations, notre capacité de réflexion collective, pour les accompagner au mieux dans ce remaniement.
Nous avons plus que jamais en ce moment du temps à leur consacrer.
G. Nguyen
Ping : CONFINEMENT ET IMPACT PSYCHOLOGIQUE