Les professionnels travaillant auprès des enfants et des familles constatent tous l’explosion des problèmes en lien aux écrans. Quels risques ? Quels dangers ?
Le devenir des écrans et leur utilisation par les enfants sera ce que nous en ferons et cela passera nécessairement par une prise de conscience collective.
J’observe toutefois dans mon travail une grande variabilité d’une famille à l’autre concernant le niveau d’information, de prévention et de contrôle.
Je constate encore que beaucoup de gens ne connaissent pas l’existence d’applications de contrôle parental. Informer de l’existence et du fonctionnement de ces outils peut changer le cours des choses pour un parent en difficulté avec ses enfants et qui n’est pas familiarisé avec le numérique.
Nous avons chacun un rôle à jouer à quelque niveau que ce soit : parental, familial, amical, professionnel… cela commence par de l’information, des discussions, de petites initiatives comme ce petit article. Qu’il puisse apporter une information utile à une seule personne et j’en serais professionnellement satisfait.
Bébés, tout-petits, enfants, adolescents, parents, grands-parents… les problèmes d’écrans concernent tous les âges.
Au cours de ces dix dernières années, j’ai observé l’évolution fulgurante dans la manière dont les écrans se sont invités dans les familles, la parentalité, les liens entre les personnes. Je pense pour ma part à un bouleversement majeur entre 2000 et 2010 avec la démocratisation des smartphones et l’avènement des premiers réseaux sociaux.
Aujourd’hui j’ai le sentiment profond d’une technologie qui va trop vite par rapport à ce que les générations peuvent assimiler.
L’ère du numérique, extraordinaire avancée technologique dans notre quotidien, induit toutefois un fossé générationnel qui n’est pas sans laisser de naufragés.
Concernant le public infanto-juvénile, les problématiques en lien aux écrans se développent avec une vitesse avec un retentissement qui nécessitent urgemment cette prise de conscience collective. Nous sommes face aujourd’hui à de réels enjeux de santé publique.
Ces avancées technologiques ne pourront élever les humains qu’à la condition que l’on puisse en définir les contours, penser dès le plus jeune âge une éducation au numérique à la hauteur des problèmes actuels.
Vers une construction collective d’une éducation aux écrans
Prenons l’exemple d’un adolescent qui consulte après une crise en lien à la coupure nette de sa partie de jeu vidéo, violente crise au cours de laquelle ce dernier a saccagé sa chambre à coucher.
Voilà une illustration pertinente pour amorcer un travail de pensée autour de ces problèmes qui soulèvent des questionnements larges.
Les enfants appréciant les jeux dits en « battle royale » (plusieurs dizaines de multijoueurs avec objectif d’être le dernier survivant) décrivent aisément cette puissante montée d’adrénaline, tout autant que le niveau intolérable de frustration que génère une coupure de la partie avant la fin.
Certains jeux comme Fortnite qui sont des tentacules de centaines de millions d’utilisateurs organisent mêmes des championnats internationaux avec des cachets pharaoniques pour les finalistes. Ainsi le jeune Kyle Giersdorf, 16 ans (alias « Bugha ») a gagné en 2019 3 000 000 de dollars en 2019 pour avoir remporté la Fortnite World Cup. Quel temps d’exposition nécessite l’accession à un tel niveau de performance ?
Quel message est-il passé aux adolescents lorsque l’on gagne trois millions de dollars en jouant à un jeu vidéo ?
Il est donc capital de s’informer sur l’activité, les jeux et les enjeux qui se passent pour les enfants autour du numérique afin de mieux comprendre comment s’y adapter.
De ce fait, et pour l’exemple précédent, raisonner en nombre de parties un jeu en battle royale apparaît tout de suite certainement plus pertinente que en temps d’écran.
Mais les problématiques en lien à des consommations très excessives d’écran soulèvent des questionnements plus profonds et bien plus large : qu’est-ce qui fait par exemple qu’une grave addiction aux écrans ait pu s’installer ? Comment va l’enfant ? Comment va la famille ?
A quels problèmes les écrans exposent-ils les enfants ?
Je le redis, c’est une question à laquelle nous avons nécessairement à répondre collectivement. Cela passe avant tout par chercher à comprendre ce que vivent les enfants. Ne pas diaboliser les écrans mais les comprendre pour apporter une réponse adaptée tant sur le plan préventif, éducatif que celui du soin psychique.
L’écran est devenu cet espace ni dedans-ni dehors mais omniprésent au travers duquel se jouent tant de choses chez les enfants et les adolescents.
Dans cet espace, nombre de dangers peuvent complètement échapper aux adultes. J’observe dans les consultations toujours plus de conflits et de problèmes trouvant leur origine dans l’espace numérique… pour des enfants de plus en plus jeunes. Je rencontre de plus en plus de problèmes d’écrans chez les enfants scolarisés en primaire.
Telle petite fille scolarisée en CM2 par exemple montrant une rupture soudaine et inexpliquée dans son comportement avec irritabilité et crises de colère anormales. Ses parents découvrent de violentes disputes le soir avec des camarades sur un groupe de conversations snapchat: torrent d’insultes, menaces… avec retour à la normale une fois la conversation supprimée et l’application interdite.
N’oublions pas que les enfants actuels n’ont pas connu le monde sans smartphone, sans réseaux sociaux, sans chaînes de vidéos en ligne, sans groupe de conversation, sans visioconférence… l’écran est une partie intégrante de leur vie, de leurs rapports sociaux. Il y a cette part d’identité aujourd’hui qui s’ajoute à l’utilisation de l’écran. Qui suis-je sur internet ? Qui voudrais-je être sur les réseaux sociaux ?
À l’instar de l’agencement et la décoration de notre logis, nous avons tous nos écrans avec nos habitudes, notre photo de fond d’écran, nos applications, de notification, nos sonneries, nos groupes de conversations. Les algorithmes repèrent ces habitudes, captent nos centres d’intérêt où nos opinions, nous proposent du contenu personnalisé qui va dans notre sens, qui nous conforte et nous renforce dans vos opinions. Nous avons cette sorte de « moi social numérique » image que nous souhaitons bien montrer de nous dans l’espace numérique sur les réseaux sociaux notamment. Les adolescents sont particulièrement concernés avec les réseaux sociaux (Snapchat, tiktok, Instagram…) sans oublier la popularité qui va avec, mesurée en nombre de like et de followers.
Comprendre les problématiques en fonction de l’âge développemental des enfants.
Bébés et écrans
La problématique majeure des écrans chez le tout petit me semble se concentrer sur l’interaction. Reprenons cette phrase célèbre du pédiatre anglais Donald Winnicott « un bébé seul, ça n’existe pas » : un bébé est indissociablement pris dans son environnement. Le développement du tout-petit s’effectue dans le lien relationnel et l’interaction permanente avec cet environnement, ce retour permanent de ses figures d’attachement sur ce qu’il fait, ce qu’il ressent. Cette nécessaire réflexivité qui lui permet de se construire, de comprendre son monde psychique et émotionnel.
En s’interposant, l’écran perturbe cette interaction : votre bébé a besoin de votre regard pour se construire.
Quand on intègre cette dimension majeure de l’interaction chez le tout petit, on comprend tout de suite l’impact dramatique d’une consommation excessive d’écran chez un tout petit : communication, langage, socialisation, motricité, acquisitions…
Dans les cas les plus extrêmes on voit apparaître des symptomatologies très inquiétantes comme celles décrites par le pédopsychiatre Daniel Marcelli dans le syndrome de l’EPEE (Exposition Précoce et Excessive aux Ecrans).
Enfants et problèmes liés aux écrans
Chez des enfants plus âgés, j’observe à travers les consultations beaucoup de conflits familiaux autour de la gestion des écrans. L’émergence de comportements colériques, d’agressivité, de troubles du sommeil, des problèmes d’attention en lien à des consommations excessives d’écran.
Je vois fréquemment des enfants qui ne savent plus s’occuper tout seul quand ils n’ont pas d’écran à disposition, qui ne semblent trouver leur seule source de plaisir dans l’écran.
Combien d’enfants décompensent des problèmes anxieux après avoir visionné des vidéos inadaptées notamment de personnages d’horreur dont ils parlent beaucoup entre eux. Momo, Huggy Wuggy, Freddy, les clowns-tueurs…
Même des enfants bien protégés sont exposés car ils peuvent côtoyer, par exemple à l’école, d’autres enfants qui ne sont pas protégés. J’ai ainsi vu des enfants consulter pour des problèmes anxieux, des troubles du sommeil, des cauchemars, après simple discussion avec des copains dans la cour de récréation autour de ces vidéos effrayantes.
Ecrans et adolescents
Concernant les adolescents, les problématiques d’addiction aux écrans peuvent induire d’importantes baisses dans les performances cognitives, des troubles du sommeil et de l’attention, de l’isolement et du repli. On peut voir un cercle vicieux s’alimenter entre l’isolement social et l’aggravation du mal-être, de graves dépressions se développer.
Je suis surpris de voir cette présence toujours plus grande du téléphone et de l’espace numérique à proximité de l’adolescent, ces centaines de notifications qu’ils reçoivent quotidiennement et qui recentrent en permanence leur attention sur leur smartphone.
Il y a bien sûr toutes les problématiques de grave mise en danger : exposition à des contenu violents, enfants approchés par des personnes dangereuses. Certains sites de chat font régulièrement parler d’eux, encore récemment le site Coco.gg lors de l’assassinat d’un jeune homme à Grande-Synthe (avril 2024).
Vers une nécessaire éducation aux écrans dans l’hygiène de vie
Les problèmes actuels rencontrés nécessitent qu’une réelle prise de conscience collective puisse se faire, que l’éducation aux écrans puisse être pensée dans une vision à long terme pour les enfants.
Cela commence bien évidemment par s’informer et informer, le travail préventif reste si vaste ! Il y a ces premiers axes de prévention et d’utilisation des outils de contrôle parental à disposition dont l’existence est encore trop souvent ignorée des familles.
Cela fait l’objet d’un prochain billet blog sur la prévention et l’intervention autour des écrans avec les enfants.
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